Dans cet essai, l’économiste sud-africain Temba A. Nolutshungu puise dans l’histoire récente de son pays pour distinguer la règle de la majorité (qui a été gagnée après des décennies de lutte contre la monopolisation du pouvoir par une minorité) et la liberté, et montre le potentiel libérateur de la liberté économique.
Idées fausses & miracles
Le bien-être économique est une conséquence de la liberté. En Afrique du Sud, avec un taux de chômage officiellement de 25,2 pour cent (un chiffre qui n’inclut pas ceux qui ont renoncé à chercher du travail), l’écart entre la liberté politique et le bien-être économique reflète une situation potentiellement catastrophique, un danger aggravé par les administrations successives promettant toutes sortes d’avantages à leurs électeurs.
Pour faire face aux défis auxquels nous sommes confrontés, nous devons nous débarrasser de certaines idées fausses.
La création d’emplois ne relève pas du rôle de l’État. Pour que les emplois soient durables, ils doivent être créés par le secteur privé. Les emplois créés par l’Etat le sont au frais des contribuables et reviennent à de l’emploi subventionné. Étant non durables, ils n’ont aucune conséquence économique positive. Le secteur privé est le principal créateur de richesses et le secteur public est un consommateur de richesses.

Temba A. Nolutshungu.
L’argent n’est qu’un moyen d’échange pour les biens et services et devrait donc se rapporter à refléter la productivité. Lorsque j’ai visité la Russie post-communiste et la Tchécoslovaquie en 1991, la blague populaire était que les travailleurs faisaient semblant de travailler et l’État faisait semblant de les payer. Ainsi, à mon avis, quand on parle de création significative d’emplois nous devrions nous concentrer uniquement sur le secteur privé.
Quelles politiques ?
Cela soulève la question de savoir quelles politiques devraient s’appliquer aux entreprises privées. Quelles sont celles qui amélioreront leur productivité et celles qui la retarderont ? Que faire ?
Examinons les principes qui sous-tendent le plus simple des échanges entre deux parties. Les transactions simples peuvent servir d’exemple et de sorte de microcosme de l’économie réelle. Elles devraient informer les décideurs quant aux politiques qui sont les plus compatibles avec la nature humaine, parce que le facteur humain est essentiel dans le contexte économique.
Démarrons loin dans le temps avec un hypothétique homme des cavernes habile à la chasse, mais inexpérimenté pour fabriquer une arme de chasse. Notre homme des cavernes rencontre un autre homme des cavernes qui sait fabriquer des armes et il accepte d’échanger une partie de son gibier contre une arme. Les deux hommes ont le sentiment qu’ils ont profité de l’échange, y obtenant chacun quelque chose de plus grande valeur, du point de vue de chacun, que ce qu’il a donné. Tôt ou tard, le fabricant d’armes constate que s’il se spécialise dans la fabrication d’armes, au lieu d’aller à la chasse, il peut troquer les armes contre de la fourrure, de la viande, de l’ivoire et ainsi de suite. Il a désormais une affaire. Il prospère et tous ses clients prospèrent parce qu’ils utilisent maintenant des armes de chasse plus efficaces.

Friedrich A. von Hayek, Nobel 1974.
Il est important de noter à propos de ce scénario qu’il n’implique pas la force ou la fraude. Pas d’implication de tiers. Aucune partie ne prescrit les règles de conduite des affaires. Les règles que les parties à la transaction respectent viennent spontanément. Elles sont conformes à un ordre naturel en quelque sorte. C’est ce que l’économiste Friedrich Hayek appelait l’ordre spontané, et une partie de cet ordre est que la propriété privée est respectée de manière réciproque.
Economie moderne
À partir de cet exemple simple, on peut extrapoler que dans l’économie moderne, dans un pays où l’État s’abstient de toute ingérence dans la sphère économique, il y aura une croissance économique élevée et des avantages socio-économiques qui en découlent. En d’autres termes, si un État promeut la liberté économique des producteurs et des consommateurs et leur permet de s’engager dans des transactions qui n’impliquent pas la force ou la fraude, le pays et son peuple prospéreront. C’est un moyen sûr de réduire le chômage, d’améliorer l’éducation et de créer de meilleurs soins de santé.
Ces principes fondamentaux s’appliquent à toutes les économies, quel que soit le contexte culturel dans lequel chacune a émergé.
Le mythe persistant de « l’éthique du travail » mérite notre attention critique. Cette vision renforce implicitement les stéréotypes sur les groupes nationaux ou ethniques qui auraient ou pas une éthique du travail, prolongement logique de l’idée que les pauvres sont pauvres parce qu’ils manquent d’une éthique du travail et les riches réussissent car ils en ont une – une vision dangereuse, surtout quand elle coïncide avec la « race ».
Avant que le mur de Berlin ne tombe en 1989, l’Allemagne de l’Ouest était la deuxième plus grande économie du monde alors que l’Allemagne de l’Est était une zone économiquement sinistrée. C’était le même peuple, la même culture, et les mêmes familles dans certains cas, avant qu’elles n’aient été divisées après la Seconde Guerre mondiale. Un jugement similaire peut être porté à l’égard des deux Corées : le Sud, un géant économique, et le Nord, un abîme économique qui continue à absorber l’aide étrangère.
Encore une fois, les mêmes personnes, la même culture. Et que dire du contraste entre la Chine continentale et Hong Kong, avant que Deng Xiaoping n’ait lancé des réformes radicales de libre marché, après avoir annoncé qu’il était glorieux d’être riche et qu’il n’importait pas que le chat soit noir ou blanc pourvu qu’il attrape les souris ? Encore une fois, les mêmes personnes, une même culture, et les mêmes révélateurs des disparités économiques. La différence est due, à chaque fois, au degré de liberté octroyée aux acteurs économiques.
Depuis 1978, grâce aux réformes les plus radicales de marché observées ces dernières années, la Chine représente désormais la troisième plus grande économie au monde. En revanche, et malheureusement, selon les mots de Bertel Schmitt, « les États-Unis ont récupéré le manuel économique socialiste que Deng Xiaoping avait eu l’intelligence de jeter ».
Le cadre législatif
Le cadre législatif et institutionnel dans lequel s’inscrit l’activité économique et, en particulier, le degré de réglementation auquel est soumis l’économie, constituent le déterminant majeur du degré de richesse que peuvent atteindre un pays et ses habitants. En d’autres termes, la mesure dans laquelle les États permettent aux individus d’exercer leur liberté économique déterminera leurs performances économiques.

Walter Williams : South Africa’s War Against Capitalism.
Ces mots écrits en 1986 par le professeur Walter Williams, auteur d’un ouvrage provocateur : South Africa’s War Against Capitalism (La guerre de l’Afrique du Sud contre le capitalisme), résument bien le problème :
« (…) la solution aux problèmes de l’Afrique du Sud, ce ne sont pas les programmes spéciaux, ce n’est pas l’affirmative action, ce n’est pas l’aumône, et ce n’est pas l’État Providence. C’est la liberté. Parce que si vous regardez autour de la planète et que vous cherchez des peuples riches, pleins de diversité et qui ont la capacité de s’entendre assez bien, vous cherchez aussi une société où il y a un niveau relativement important de liberté individuelle ».
Temba A. Nolutshungu
Temba Nolutshungu est un directeur de la Free Market Foundation en Afrique du Sud. Il enseigne dans des programmes sur l’autonomisation économique dans tout le pays et est un contributeur fréquent de la presse sud-africaine. Il a été membre de l’équipe de rédaction des Zimbabwe’s Papers, un ensemble de propositions de politiques pour la reprise au Zimbabwe après le désastre des politiques de Robert Mugabe, soumis au Premier ministre zimbabwéen Morgan Tsvangirai. Temba Nolutshungu était une figure du mouvement de conscience noire durant sa jeunesse en Afrique du Sud.