Le Mal est bien là

Le Mal est dans le monde. Il cause du désordre, et ce désordre nous scandalise.

Nous rêvons d’une société douce et harmonieuse, nous rencontrons partout des victimes. Mais pour nous protéger du désordre et aider ces victimes, il faut comprendre que le Mal se projette dans le monde par plusieurs voies, et notre réponse, elle aussi, doit être multiforme.

Nous devons distinguer trois grands désordres : la subversion par le Mal des ordres propres à la Nature, à la Justice et au Marché. Chacun de ces désordres appelle une action différente en faveur des victimes.

Mal

Le Mal frappe… il est multiforme…

La Nature

Nous rencontrons d’abord les victimes de ce que la tradition appelle « actes de Dieu », des coups du sort qu’aucun être humain n’a voulus ni causés. Ce sont les maladies, les conséquences d’accidents, d’ouragans, d’éruptions volcaniques, de malformations génétiques…

Par ses imprévoyances et ses mesquineries, l’être humain ajoute souvent aux conséquences de ces événements naturels. Pourquoi la même année un tremblement de terre de même intensité causa-t-il 10.000 morts à Erevan et 200 à San Francisco ? À l’origine, aucune action humaine ne déclenche la catastrophe, elle s’abat sur nous.

La Nature est « coupable », à qui nous ne pouvons présenter aucune facture. La réponse à ce désordre est de trois types :

  • la prévention, par une responsabilisation de tous les acteurs, la vaccination, l’hygiène, de meilleures constructions sur des sites abrités, la vigilance des services de sécurité, etc.
  • l’assurance, qui en mutualisant les risques, permet l’indemnisation des victimes et la reconstitution de leur patrimoine
  • l’entraide, parce que le sort d’aucune victime ne nous laisse indifférents.

La Justice

Il est un autre type de désordre, celui-là causé par un acteur humain, voulu par lui, et dont il est coupable.

Si j’empoisonne les citernes d’eau de la ville de Londres, je suis clairement un meurtrier, et mes victimes (ou leurs ayants-droit) exigeront une expiation qu’ils ne pourraient attendre de la Nature. De même, si j’ai violé des engagements en affaires ou en amour, mes partenaires me demanderont des comptes, voire une compensation, parce que je suis responsable d’avoir pris ces engagements auxquels rien ne me forçait, et de ne pas les avoir tenus alors que rien ne m’en empêchait.

Le Mal m’a utilisé, mais je pouvais lui résister.

La réponse que nous devons apporter à son action est donc bien celle de la Justice, c’est-à-dire obliger l’auteur du Mal à réparer sa faute.

Le Marché

Il existe enfin les nombreuses victimes d’actions humaines, voulues par leurs auteurs, dont ils savent qu’elles vont nuire à autrui, mais qu’il est parfaitement légitime de mener jusqu’à leur terme.

La femme que j’aime me plaque pour un autre, elle sait la souffrance qu’elle va me causer, mais elle a aussi des devoirs envers son propre bonheur. Un critique publie qu’il déteste mes œuvres, il sait qu’il va dissuader les acheteurs de mes livres ; un concurrent ouvre sa boutique en face de la mienne, il sait qu’il va prendre mes clients.

Peu importe d’ailleurs que ce critique et ce commerçant aient la volonté de me nuire ou seulement celle d’exercer leur métier ; le résultat est que je serai une victime de leur initiative, et qu’ils en seront innocents.

Le Mal n’a pas besoin de la volonté humaine pour passer dans le monde, il y est chez lui.

Notre réponse ici rejoint donc celle préconisée ci-dessus, lorsque le Mal use des forces de la Nature : la responsabilisation des acteurs, l’assurance et l’entraide.

La Propriété

Cette typologie du Mal nous permet d’éviter une confusion trop répandue à notre époque. Toutes les victimes ne sont pas victimes d’injustices.

Le recours à la notion de justice n’est donc pas une réponse appropriée pour aider ceux qu’ont frappés l’inondation et la maladie, le chômage et la pauvreté…

Certes, notre sentiment de justice nous fait préférer le pauvre au riche, le copain sympathique à l’usurier retors, la jeune joueuse inexpérimentée à sa rivale professionnelle. Mais avec des sentiments, on ne rend pas la justice, on lynche. La justice doit être objective, indépendante des personnes et des passions.

Et l’objectivité de la Justice, c’est la propriété. Si ma femme me jette, le critique m’éreinte, le concurrent me ruine, et qu’ils le font légitimement, c’est qu’ils usent de leur propriété sans violer la mienne. En revanche, en empoisonnant l’eau de Londres, j’ai clairement attenté au droit de propriété de la Ville sur ses citernes.

Là réside le critère de Justice entre l’action légitime et le crime.

Les Ruses du mal

La Justice exige que le coupable paye, et nous confère le droit de le contraindre s’il le faut.

Mais la Justice ne ferait-elle aucun distinction entre l’innocent et le coupable ? Si personne n’a causé une catastrophe naturelle, pourquoi quelqu’un serait-il condamné à réparer ses effets ? S’il est légitime de critiquer, d’acheter, de ne pas acheter, d’innover, et d’entrer en concurrence, pourquoi ceux qui ont pris ces décisions légitimes devraient-ils être condamnés à payer les dommages qu’ils ont causés à autrui ?

L’exigence de Justice est la seule qui nous autorise à saisir une propriété, celle de l’agresseur, c’est-à-dire à recourir à la violence, à l’arme même du Mal.

Mais la Justice exige aussi de protéger les innocents. Chaque fois que nous utilisons la violence en dehors du cadre strict du Droit de propriété, nous nous faisons l’auxiliaire du Mal.

Le mensonge de notions comme la « justice sociale », qui nous conduit à déployer la violence contre des innocents, n’est qu’une des ruses du Mal pour agir dans le monde.

 

Christian Michel

24 février 2002