Série Mai 68

« On est gouvernés par des lascars qui fixent le prix de la betterave et qui ne sauraient pas faire pousser des radis. » – Michel Audiard

À cris cultures

Connaissez-vous ce supplice de western spaghetti, qui consiste à faire danser un malheureux en tirant devant ses pieds avec un revolver ? C’est ce que subit depuis 60 ans l’agriculture en ce pays. Un secteur fondamental de l’économie a été le jouet de toutes les aventures décidées d’en-haut.

La disette, sur la terre fertile de France, a presque toujours eu des causes politiques : les guerres féodales, puis les guerres de religions, mais surtout une tendance quasi-génétique aux taxes, à l’imposition et aux réglementations, de préférence le plus lourd, le plus foisonnant, le plus idiot. La gabelle, on s’en souvient encore.

À l’époque de Turgot, quelques années avant la Révolution, la cause des famines était principalement la douane intérieure qui empêchait les échanges entre provinces. Aujourd’hui, la famine ne concerne plus les ventres. La famine qui s’est emparée du monde rural est une famine des âmes.

Raisins

Raisins de l’Absurde, nuage des mots.

Coopératives, tives, tives

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’obsession fut logiquement l’autonomie alimentaire. La technocratie, en plein essor en ce milieu de XXe siècle, trouva en France un terreau favorable, celui de la culture colbertiste de l’administration, qui s’était maintenue en dépit de la valse des régimes. Vichy avait jeté les bases d’une implication tous azimuts de l’État dans l’économie et la société. Notre « modèle social », entériné par le CNR à la Libération, en est issu.

On n’osa toutefois pas imposer les kolkhozes. Il y eut à la place les coopératives, lesquelles, un demi-siècle plus tard, continuent d’escroquer les petits exploitants et sont une des causes de la faiblesse de leurs revenus. Les agriculteurs qui vendent directement aux supermarchés s’en sortent en fait assez bien, m’a dit un jour un banquier. Guider politiquement le développement de l’agriculture, finirait, avec le temps, par se révéler source de gaspillages et de désespoir.

Afin de faciliter l’emploi des machines, l’État décida que l’agriculture abandonnerait le bocage, méthode traditionnelle d’occupation des sols qui les protégeait du lessivement, au profit des vastes étendues de l’openfield. Le remembrement s’effectue à la suite d’une enquête publique ; en l’absence d’accord sur l’échange de parcelles, on recourt à l’expropriation. Depuis le Grenelle de l’environnement, on a un second type de remembrement, qui vise lui à l’inverse à replanter les haies… Les politiques publiques font comme la marée, ça monte et ça redescend.

PAC manne

L’autre volet productiviste se déploya au sein de l’Europe, il s’agit de la Politique agricole commune. On sait qu’un agriculteur baisse les bras quand il ne remplit même plus ses dossiers de subvention. Les fonds européens encouragèrent d’abord la production. Puis lorsque les cours s’effondrèrent, il y eut des destructions de stocks et des primes d’arrachage. Vers le début des années 80, on a eu une agriculture folle, incitée à la fois à produire et à ne pas produire, menacée par sa propre pollution, avec des agriculteurs « junkies » à l’argent public et par ailleurs accablés de paperasserie.

Suicides

Pourquoi tant de suicides agricoles ?

L’ère contemporaine va un cran plus loin dans le n’importe quoi. Les scandales de la soviétisation ont suscité un climat de suspicion. Le concept de traçabilité n’est pas mauvais : en obligeant à se faire une idée exacte du processus de production, il a amélioré la qualité de cette dernière ainsi que la gestion des crises… à condition que les médias ne s’en mêlent pas. Cependant, il implique la tenue maniaque de registres.

L’agriculture raisonnée ne résulte pas tant, quant à elle, d’un souci d’éthique – bien que présent – que de la nécessité d’économiser l’engrais et les traitements à cause des très lourdes taxes qui pèsent sur eux. Le bio, quant à lui, ne répond pas à un besoin matériel, celui de se nourrir, qu’il remplit fort mal, mais à un besoin idéologique, un idéal cathare. Les contraintes byzantines de son label aboutissent régulièrement à l’inverse des intentions affichées. On fait des choses carrément dangereuses.

Faut pas pousser

Le monde journalistique, enfant de mai 68, éprouve un engouement sans nuance : les intoxications meurtrières type E-coli bénéficient d’abord d’un silence complice ou de démentis dignes de la Pravda. Cependant le bio a le mérite d’être issu d’une demande des gens plutôt que décidé administrativement.

Mais que les écologistes cessent de s’acharner sur les OGMs ! Ils délestent du fardeau des engrais et des traitements. Ils servent également à la médecine. En France, les assauts des « faucheurs volontaires » ont anéanti la recherche, ainsi que toute velléité pour une société de les développer, offrant dans une ambiance médiévale un monopole de fait au géant américain Monsanto…

Enfin, les agriculteurs souffrent des mêmes maux que tous les entrepreneurs. Les taxes, les réglementations ainsi que les charges sociales les privent des choix fondamentaux, les placent dans une situation humiliante de dépendance ; du petit maraîcher au gros céréalier, de l’entreprise familiale au groupe, on survit.

L’adaptation aux aléas devient très difficile car personne n’a de marge de manœuvre. C’est la source d’un stress immense. Pour parer au coût des investissements imbéciles que les nouvelles réglementations obligent à réaliser tous les six mois ou presque, il convient de se doter d’un solide réseau dans les collectivités locales.

Bruxelles dans l’échoue

Aujourd’hui c’est la santé et l’écologie, qu’est-ce que ce sera demain ? Il y a des effets de bulle ruineux, comme avec le photovoltaïque, maintenant que l’État a retiré d’une main ce qu’il a donné de l’autre. Tout ça n’a pas de sens, c’est du suicide. Trop nombreux sont ceux, d’ailleurs, qui mettent fin à leurs jours, ou proches de la retraite, jettent l’éponge après avoir découragé leurs enfants. Pourtant ce sont de braves soldats, ils aiment le « modèle social », tout le bazar, et l’État. Pas Bruxelles, par contre.

Il faudra que les « bobos » et les fonctionnaires se mettent dans la tête qu’à l’instar du reste de la population, les agriculteurs ne vont pas de soi et n’ont pas à se plier aux rêveries de quiconque : ce ne sont pas des cobayes, des statistiques ni même des « Sim’s ». Ce sont des individus tout à fait humains qui souffrent du mensonge et qui ne vivront leurs vies qu’à partir du moment où l’on aura ôté leurs chaînes « énarchiques » !

Couverture de Libres !

 

François d’Ancony, in Libres !, 2012