Extrait du chapitre 5 de l’ouvrage « Théorie Générale de l’Interaction – Méthodes: Précis d’Economie Politique » de Gaël Campan.
Caractère parasitique
Au regard des définitions de la sociobiologie, le caractère éminemment parasitique de l’activité gouvernementale devrait désormais sauter aux yeux et ne plus faire de doute. En effet, les représentants de l’État et leurs clientèles se procurent les moyens de leur subsistance auprès de la société civile par trois voies principales qui relèvent toutes, sans exception, de l’exploitation :
- directement – par la levée de l’impôt ;
- en différant leurs ponctions sur les générations futures – par l’endettement public ;
- d’une façon indirecte et cachée – par l’inflation monétaire ou l’octroi intéressé de privilèges.
La praxéologie nous enseigne que les hôtes hébergeurs de cette interaction se trouvent indubitablement et exclusivement au sein des producteurs indépendants de la société civile ; tandis que le groupe de leurs parasites est constitué de l’ensemble des membres du gouvernement, de ceux de son administration ainsi que de leurs nombreuses clientèles protéiformes, dont les producteurs dépendants font partie. Toutes les interventions politiques doivent logiquement être conçues comme des interactions trophiques dont les bénéficiaires nets sont les élus, les membres de l’administration et de la fonction publique (directement) ainsi que leurs clientèles protéiformes (indirectement). Force est alors de constater que la social-démocratie – malgré ses atours pseudo-égalitaires et ses visées humanistes – n’est que l‘expression sophistiquée d’un kleptoparasitisme.
Confusion anti-capitaliste
Incidemment, ce constat met en relief la grande confusion qui règne par contraste chez les contempteurs du capitalisme lorsqu’ils soutiennent que « les bourgeois » exploitent « les prolétaires », même quand les contrats de travail et de vente qui les lient sont totalement libres, c’est-à-dire en absence de toute contrainte législative. Aussi, ils dénoncent pêle-mêle tous les propriétaires de capital, sans discriminer entre ceux qui ont acquis leur richesse par des moyens proprement économiques, et les ploutocrates qui l’ont accumulée grâce à la complicité ignominieuse des kleptocrates.
Certes, l’État est un instrument que les ploutocrates utilisent sans vergogne pour obtenir des privilèges exclusifs. Néanmoins, une fois sa protection et ses faveurs disparues, ils redeviennent complètement inoffensifs car de nouveau vulnérables à la concurrence. C’est l’institution étatique qui initie au travers de son monopole législatif la demande de privilèges. Se tourner vers l’État – kleptocrate patenté – pour lui demander de mettre au pas sa propre clientèle de ploutocrates est d’une naïveté – ou d’une hypocrisie – abyssale. Le capitalisme de connivence – l’autre nom du kleptoparasitisme démocratique – n’est pas le libre-échange. L’indigence conceptuelle des pourfendeurs du marché libre les conduit à abhorrer tous les détenteurs de capital, y compris ceux dont l’activité indépendante contribue à éradiquer la faim et la maladie de la surface du globe.
L’usage que nous faisons du mot « kleptoparasitisme » n’est donc pas hypothétique mais bien littéral. Il rend compte avec rigueur et objectivité de la réalité d’une relation déséquilibrée qui ne bénéficie qu’à une seule de ses parties et dont les enjeux sont vitaux. Aussi, l’affirmation selon laquelle la social-démocratie est un kleptoparasitisme n’est pas un jugement de valeur, mais un jugement de fait. La connotation négative suscitée par le mot « parasite » fait écho à une certaine doctrine morale selon laquelle un être humain ne devrait pas vivre aux dépens d’un autre sans son agrément. Ce qui est amoral chez les animaux devient immoral chez les humains, du fait de la capacité de choix limitée des premiers et de la faculté de libre arbitre qui est l’apanage des seconds. Toutefois, la « raison du plus fort ou du plus malin » est une morale alternative, qui a aussi ses adeptes et ses défenseurs.
Ne pas travestir
C’est pourquoi – à ce stade introductif de l’analyse théorique – il ne s’agit pas tant de prendre parti pour une doctrine plutôt que pour une autre, que d’établir la réalité de cette interaction particulière, sans la juger certes, mais sans la travestir non plus. En effet, il est fallacieux de dénommer différemment deux actions par nature identiques, uniquement parce qu’elles ont été perpétrées par deux entités distinctes. Ainsi, le larcin et l’impôt sont tous les deux rigoureusement des vols, car ils induisent la saisie intentionnelle de la propriété d’autrui sans son assentiment explicite, ce qui constitue bien la caractéristique essentielle et univoque d’un vol.
L’ampleur et la fréquence de ces saisies, non plus que leur caractère légal ou illégal, ne peuvent altérer la qualité transgressive des actions qu’elles requièrent. Ces dernières ne sont d’ailleurs répréhensibles que si l’abstention de l’initiation de la force (ou de sa menace) est le standard moral absolu, la doctrine sociale de référence. En tout état de cause, appeler le premier un « délit » et le second un « prélèvement effectué d’autorité » constitue une tentative insidieuse d’escamotage de la commune nature de ces perpétrations. Selon la même logique, s’il est démontré que la relation forcée de certains membres de la société civile avec l’administration publique s’opère à l’avantage exclusif de cette dernière, alors son caractère parasitique sera avéré, sans qu’il soit pour cela nécessaire d’émettre un jugement moral sur les actions des parasites ni sur les individus libres concernés par cette interaction.
Évidemment, qualifier cette relation de parasitique peut provoquer une blessure narcissique légitime chez nombre de fonctionnaires – à la fois bienveillants et consciencieux – qui croyaient jusqu’à présent œuvrer de bonne foi dans l’intérêt général. À la différence des animaux, ils savent pertinemment qu’ils peuvent subvenir à leurs besoins alimentaires autrement que par le recel du produit du vol de leurs semblables. Une fois leur réflexe de déni surmonté, le sentiment de trahison et de colère qu’ils pourraient ressentir en réalisant le piège rhétorique dans lequel ils se sont laissés prendre est donc parfaitement fondé.
Qu’ils se consolent en acceptant qu’ils sont eux aussi – et avant toute chose – les victimes d’un conditionnement social dont ils ne pouvaient se défaire avant de disposer de certains outils conceptuels que l’école obligatoire de la République se garde bien d’enseigner. En outre, pour la plupart d’entre eux, ils peuvent légitimement espérer que leurs talents trouveront à s’exprimer de façon bien plus gratifiante en dehors de l’administration.
Posture et imposture
Sans surprise, les thuriféraires de l’institution publique s’inscrivent en faux contre cette présentation antagoniste de la relation entre l’Etat et la société civile. Ils s’échinent au contraire à mettre en avant des éléments qui pourraient attester de la nature symbiotique de cette interaction – c’est-à-dire de son caractère bénéfique, réciproque et indispensable – afin de faire valoir une interdépendance de l’État et de la société civile, plutôt qu’une hégémonie forcée du premier sur la seconde. À cet égard, leur refus obstiné d’accepter que l’impôt constitue un vol relève clairement d’une posture – sinon d’une imposture – qui les disqualifie intellectuellement.
Il serait plus sain pour le débat, et ses défenseurs gagneraient en crédibilité, s’ils acceptaient le fait accompli de la violence étatique afin de pouvoir ensuite déplacer sereinement la discussion sur le terrain doctrinal. En effet, les partisans de la loi du plus fort et des sociétés hiérarchiques ont des arguments idéologiques à faire valoir. De ce point de vue, ils sont plus cohérents et plus intègres intellectuellement que ceux qui s’arc-boutent dans le déni et s’obstinent à appeler un tigre, un chat.
Ce refus obstiné d’appeler les choses par leur nom n’est pas anodin. Il a pour effet d’entretenir une forme d’agnosie sémantique dont l’intérêt rhétorique est d’instiller suffisamment d’approximation dans l’esprit de ceux qui sont sous son emprise, pour qu’ils s’abstiennent – dans le doute – de tirer les conclusions qui sinon s’imposeraient à eux. « Ceci n’est pas une pipe » écrivait Magritte. C’est juste une cigarette sans filtre, coudée, réalisable, et dont le contenant a été remplacé par du bois de bruyère. Ça y ressemble fortement, mais tant qu’on s’abstient de nommer et donc d’identifier la pipe, on ne s’aventure pas à y rattacher les attributs essentiels correspondants.
De la même manière, « Prendre furtivement ou par la force la chose d’autrui » (définition du verbe voler dans le Littré) n’est pas « Obliger à payer un tribut, des droits, à fournir des réquisitions » (définition du verbe imposer dans le Littré) et ce, malgré le recours des percepteurs à la force et à la furtivité. Car la conséquence ultime de cette agnosie sémantique est bien de maintenir ses victimes dans leur léthargie, et donc de préserver le status quo.
La servitude comme quotidien
En effet, les psychologues ont déjà établi depuis longtemps qu’on ne modifie pas une situation – aussi excessivement et tragiquement nocive soit-elle – tant qu’on ne l’a pas reconnue et acceptée pour ce qu’elle est, à commencer par la nommer de son vrai nom plutôt que d’un euphémisme lénifiant qui masquerait sa gravité. Ainsi, les alcooliques chroniques et les fumeurs invétérés préfèrent se voir le plus longtemps possible comme des bons vivants, plutôt que d’être diagnostiqués comme des toxicomanes. Or, le sursaut vital nécessaire à l’abandon de nos habitudes morbides ne peut avoir lieu sans une prise de conscience aiguë de notre responsabilité personnelle dans leur perpétuation.
Aussi, les étatistes patentés refuseront de reconnaître qu’ils sont malfaisants (à défaut d’être malveillants) tant que la nature criminelle des activités auxquelles ils participent ne sera pas pleinement dévoilée. Cela pourrait expliquer l’outrage provoqué par l’usage du terme « parasite ». Parce qu’il dévoile l’hideuse réalité de notre relation à l’État ; qu’il soumet ses représentants et ses clientèles à une lumière crue par la révélation de la nature véritable de leurs perpétrations ; et qu’il nous confronte sans ménagement à nos ornières et à notre crédulité (qui confine à la niaiserie), il pourrait fort bien constituer le déclencheur d’un éveil abrupt à notre sort – d’une catharsis – qui, bien que tardif, serait un premier pas vers l’épiphanie de la servitude.
En effet – et contrairement à ce que suggérait le titre d’un ouvrage célèbre de Friedrich von Hayek – la servitude n’est pas la destination finale du dirigisme étatique, elle en est le mode opératoire essentiel. Dans cette perspective, la différence entre un État nourrice et un État totalitaire ne procède pas tant de la nature de leurs interventions, que de l’étendue et de la profondeur de leurs périmètres d’ingérence et de contrôle respectifs.
Gaël Campan