Un an de Marx

Lorsque je préparais ma maîtrise de Gestion à Paris IX Dauphine, il y avait au programme un cours de droit constitutionnel.

Mis à part l’article 16 de la Constitution de 1958, qui permet, en « situation grave » pour le pays, au Président de la République d’exercer des pouvoirs exceptionnels, nous n’en n’avons rien su.

En effet, le chargé de cours était un vieux militant trotskiste – il devait avoir au moins quarante ans ! – qui ne devait pas percevoir l’intérêt de cet enseignement : nous avons donc étudié le marxisme à la place.

En ce qui me concerne, j’ai rédigé un mémoire sur le syndicalisme et l’extrême droite, et surtout une double fiche de lecture sur « L’État et la Révolution » de Lénine, d’une part, et la « Réponse à John Lewis » de Louis Althusser, d’autre part. Ce dernier, membre du PCF, déclenchait l’hilarité du prof lorsqu’il lançait lui-même : « Althusser ? Mais Althusser à quoi ? »

Un humour spécifique, une « private joke » qui mettait en joie les militants de la « quatrième internationale » à l’encontre du parti stalinien, frère ennemi…

4e Int.

IVe Internationale.

Dans son ouvrage, Lénine fustige Kautsky, le « renégat » et Althusser un dénommé John Lewis, s’affichant lui aussi communiste, tous deux coupables de pensées bourgeoises en osant prétendre que l’homme pouvait faire l’histoire.

J’ai profité en conséquence, d’une bonne année d’étude approfondie du marxisme.

Tout est dans les principes

Mais mon vieux trotskiste nous a appris surtout une notion fondamentale, qui ne surprendra sans doute pas mes savants lecteurs : ce qui compte ce sont les principes.

Inutile de s’escrimer à démonter une logique d’un politicien ou d’un philosophe, tout dépend de l’idée de base, les prémisses : le raisonnement est ensuite inattaquable car il est parfaitement logique. Il est vain de critiquer les conséquences d’un postulat, si ce dernier n’est pas auparavant identifié et détruit.

Si je crois que la valeur d’un bien dépend de la quantité de travail, directe ou indirecte, qui lui est incorporé, alors tout le reste se tient : la plus-value, le profit forcément indu, l’exploitation des travailleurs, la nécessaire lutte des classes, etc.

Le préambule de la Constitution de 1946, partie intégrante de celle de 1958, largement inspiré par les communistes d’ailleurs l’affirme : « chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. » Le travail devient une fin en soi.

En revanche, si je sais voir que c’est l’échange qui fait la valeur, notion ponctuelle, éphémère, subjective et volatile, alors le marxisme n’a plus aucun fondement.

Travail n’est pas richesse

Chacun peut prendre alors conscience que ce n’est pas le patron qui paye ses salariés, mais le client : pas d’acheteur, pas de revenus. Il est alors illusoire de prétendre sauvegarder de toutes forces des emplois et de chercher par les subventions à faire survivre des industries obsolètes. On n’est pas payé en fonction même du travail réalisé, surtout pas exprimé en temps, mais en fonction de sa contribution à la satisfaction du client. De manière isolée, le travail et la production ne créent pas de richesses.

Karl

Et ça repart ?

Si on ne fait pas sauter le verrou de la valeur-travail, toute discussion est inutile et stérile avec un marxiste.

C’est la matrice qui sous-tend toute pensée socialiste y compris sous sa forme keynésienne. Si Keynes ne s’est pas attardé sur la notion, il n’a pas non plus pris le temps de la réfuter.

Si le travail était la source de toute richesse, il suffirait de le distribuer à tous pour supprimer le chômage et créer l’abondance, et les relances notamment par les grands travaux permettraient de développer l’économie.

Les sociaux-démocrates sentent bien qu’il y a quelque chose qui ne va pas mais ils restent imprégnés de ce principe.

D’autant que Marx a repris la théorie de la valeur-travail des néo-classiques, ce qui permet à des gens qui ne se croient pas marxistes de défendre la même position. C’est ainsi que l’on peut sans hésiter identifier, à leur grand étonnement, comme marxiste ou socialiste des personnes s’affichant de « droite » et « du centre » et ou même « libéraux ».

Principes libéraux, plutôt.

La grande différence entre un marxiste et un libéral, c’est que le marxiste a lu et étudié le grand homme et ses continuateurs, alors que le libéral a bien lu et étudié le marxisme, mais il est allé voir ailleurs à travers les philosophes libéraux et surtout les économistes quasi-interdits de séjour à l’Université française, de Bastiat aux Autrichiens, à commencer par Carl Menger.

EAE

Quelques figures de l’Ecole Autrichienne d’Economie, dont Menger, Mises, Rothbard, Hayek.

C’est pourquoi il est difficile pour quiconque, surtout fonctionnaire, y compris chercheur, de comprendre que la source de son revenu ne dépend pas directement de son travail, mais de l’action humaine à travers l’échange et donc les « profits » réalisés et détournés par l’impôt d’une part et d’autre part par les financements de laboratoires par les grandes entreprises privées. S’il n’y a pas de profits, ni actuels ni futurs, alors il faut se passer de recherche, y compris fondamentale.

En conclusion, il est inutile de prétendre critiquer le « droit au logement », le smic, le revenu universel, les monopoles, les nationalisations, etc. si l’on ne détruit pas au préalable les fondements théoriques du socialisme : la valeur-travail, la rente foncière, la propriété collective des moyens de production, etc.

L’ignorance, les préjugés et surtout l’endoctrinement scolaire ferment les esprits de l’essentiel de nos contemporains dès lors que nous prenons l’étiquette libérale et a fortiori libertarienne.

Mais montrer à son entourage la pertinence de l’échange comme seul créateur de valeur, réfuter la notion de richesse naturelle, défendre le droit de propriété y compris des moyens de production permet de détruire les mirages du socialisme car celui-ci perd toutes ses fondations.

Le libéralisme n’est pas une idéologie. Mais le socialisme l’est : le combat est donc dialectique et contre-idéologique.

 

Maverick