Les fées d’annonces

L’acteur Edouard Philippe et son sbire Gérald Darmanin ont annoncé cette semaine qu’ils nous préparent un grand « plan » qui devrait aboutir à voir 120.000 fonctionnaires quitter leurs postes de manière « volontaire », résultat magique et mirobolant qui marquerait combien nos guignols sont libéraux et soucieux à la fois de nos impôts, de notre bien, et de celui des gens en place concernés.

Il faut avoir un sens particulièrement affûté du foutage de gueules pour imaginer un effet d’annonce pareil, car il y a là une cascade d’insultes envers le bon sens et la logique les plus basiques.

Convaincus

C’est toi ou c’est moi qui ose en premier ?

Dictature du régime

En premier lieu, pourquoi pousser tant d’agents au départ, quand d’ordinaire nos (très) chers gouvernants n’ont de cesse de glorifier le rôle essentiel des bureaucrates et autres employés de la foule de « services » et « entreprises » publics, qui feraient pourtant notre fierté et notre bonheur ?

Bien sûr, Claude Allègre l’avait nommé, le Mammouth est sur la bascule depuis des années pour être dégraissé, mais chaque exécutif confie au suivant sa mise à un régime autre que celui de la dictature.

Mais en ce beau pays voyez-vous Brigitte, si on touche à la bête, soudain tout s’agite. Et comme on leur a confié toutes les clés de la maison France, on ne peut pas se permettre de trop les chatouiller.

Et puis notre jeune président, celui qui « pense printemps », est aussi le premier président quantique (on en a eu pas mal qui étaient plutôt « cantiques ») : il est à droite et à gauche en même temps. Alors il va par magie dégraisser ceux qui oppressent, pour l’ivresse à droite, mais sans agresser, pour la gauche qui caresse, assez d’adresse pour faire dresser l’oreille de la presse et protéger ses fesses.

Fonction pudique

Le coup des départs volontaires est à cet égard spécialement bien trouvé, c’est du grand spectacle. Imaginez la scène vue du ponctionnaire : j’ai fait des études et passé des concours, ou bien j’ai remué mes relations pour trouver le bon piston ; ça m’a permis d’entrer dans la place, ce milieu à la fois haï et convoité, véritable trou noir de l’emploi puisqu’on y entre sans jamais en sortir et qu’on ne voit jamais ce qui s’y passe ; une fois dans l’arène, je courbe l’échine chaque jour face à l’arbitraire des ordres et contre-ordres pour payer mon statut privilégié ; je suis mal payé, avec l’argent des impôts, je sais, mais je me répète chaque jour que je suis utile, un peu ; et voilà qu’un blanc-bec météorite voudrait que je candidate spontanément pour en sortir et faire une croix sur tant de sacrifices ?

Nos guignols savent très bien que personne, ou presque – on ne peut jamais exclure qu’il y aura quelques personnes assez désespérées de l’état-employeur pour le fuir à tout prix – ne portera sa candidature volontaire pour un tel projet. Mais peu importe, il faut afficher qu’on a une mesure de dégraissage, tant pis si elle est sans mesure avec la réalité. La fonction publique reste pudique.

Loterie nationale

A moins bien sûr, et ils en sont capables, que chaque candidat reçoive la promesse d’un beau pactole pour mieux stimuler sa volonté, à nos dépens. Car si ce n’est pas cela la raison qui vient borner le nombre, pourquoi se limiter ? Pourquoi ne pas proposer à tous les ponctionnaires de prendre un virage dans leur vie et de revenir dans le monde réel, celui où chacun vit pour et par tous les autres ?

Cent vingt mille, seulement ? Et s’ils n’atteignent pas ce chiffre, malgré les sucreries distribuées, que feront-ils nos (très) chers gouvernants ? Iront-ils jusqu’à procéder à un tirage au sort pour désigner leurs volontaires qui pourtant voulaient se taire ? Cent vingt mille, seulement ? Alors qu’ils sont 5,5 millions selon les chiffres officiels ? C’est donc ne viser que 2,2% de dégraissage ? Remarquez, ça peut suffire quand on a à peine l’espoir de faire 2% de croissance par an et qu’on fanfaronne.

Changer le statut

Sérieusement, si l’on parle de volonté, soyons vraiment volontaires : plutôt que vaguement souffler sur la cocotte-minute financière qu’est la charge de la bureaucratie, pourquoi ne pas éteindre le feu d’un coup et ainsi montrer qu’il y a un chef dans cette cuisine – ou cette cantine, plutôt ?

Une marque de volonté, qui ne coûterait rien au contribuable, consisterait à simplement changer le statut de tous les fonctionnaires. Tous. Pour que tous redeviennent des employés comme les autres.

Ainsi, en transformant tous les contrats en CDD de 3 ans maximum, non tacitement renouvelables, on rendrait à l’ensemble du monde public la possibilité d’enfin gérer ses « ressources humaines ».

De plus, dans ce monde tellement égalitaire, il serait merveilleux de voir les employés du privé remis au même niveau de condition sur le marché de l’emploi que la foule des privilégiés intouchables.

Mais une telle démarche exigerait de notre troupe de théâtre une volonté de réelle justice sociale qui reste impensable pour des politiques. Ils sont là pour le spectacle, pas pour notre bien.

 

Euclide