Porte voie ?

Ça y est, les Gilets Jaunes ont leurs représentants, leurs « porte-voix ». Ils étaient huit et ne sont plus que deux à l’heure où j’écris ces lignes. Le fait est que leur nouvelle étiquette de représentant en plus du fait qu’ils annoncent posséder une liste de revendications leur ont valu d’essuyer des torrents de critiques de la part des Gilets Jaunes qui questionnent essentiellement leur légitimité, étant donné qu’il n’y a eu ni débat ni vote concernant le choix d’une éventuelle équipe de délégués, pas plus qu’il n’y en a eu à propos des doléances qui seront défendues.

Cela dit, ces huit personnages sont parvenus à capter l’attention des médias et même d’un ministre, ce qui a pour résultat de les intégrer dans l’équation. Dit autrement, que cela plaise ou non à la grande masse des Gilets Jaunes, ces individus sont à présent leurs porte-voix auprès du gouvernement et de ses affidés des paléo-médias.

Toute la question est donc de savoir quelle sera la tonalité du son qui en sortira. Sera-t-il fidèle ou distordu ? Sage ou imbécile ?

C’est ce que je souhaitais explorer ici en examinant leur méthodologie pour établir les revendications ainsi que les revendications elles-mêmes, de sorte qu’on puisse voir à l’issue si tout cela tient bien le pavé.

porte-voix

Eric Drouet et Priscillia Ludosky. Porte-voix des Gilets Jaunes.

Une méthodologie boiteuse

Leur méthodologie pour établir la liste des revendications tient essentiellement en un sondage en ligne réalisé avec Google Forms. Il contient 31 propositions que le Gilet Jaune est invité à valider ou à rejeter. Les propositions peuvent être distribuées dans deux catégories : une moitié ira dans la première catégorie, celles des revendications qui vont dans le sens de moins de taxes et plus de liberté et l’autre moitié ira dans la seconde, celle des propositions nécessitant l’exact inverse.

À ma connaissance, le sondage aurait reçu plus de 30.000 réponses, mais, toujours à ma connaissance, aucun résultat n’a été publié.

Il y a deux défauts à cette méthodologie. Le premier défaut est un biais induit par l’outil utilisé : le formulaire ne demande aucune identification et permet un nombre de réponse sans autre limite que celle de sa disponibilité sur le Internet ; ce qui fait que le Gilet Jaune qui a beaucoup de temps à perdre peut y voter dix fois, cent fois, mille fois pour en influencer les résultats dans un sens ou dans un autre. Bien sûr, peu de monde a tant de temps à perdre à se fabriquer une tendinite mais il est néanmoins possible que cela arrive.

Le deuxième défaut, plus fondamental, est une faute, une erreur épistémologique. Établir une liste de revendications sur un sondage revient à dire que ce qui est juste, vrai, légitime et bon est l’équivalent de l’avis de la majorité. C’est évidemment faux puisque les majorités se trompent régulièrement sur tout un tas de sujets ; or, ce qui est vrai pour une majorité mal informée l’est également pour un sondage, surtout un sondage comme celui-ci dont la moitié des propositions contredisent directement l’autre moitié.

Le résultat n’est pas très compliqué à prédire : lors du dépouillement du sondage, nous verrons que les propositions les plus populaires viendront des deux catégories et donc seront incompatibles entre elles et auront nécessairement un résultat néfaste si jamais elles sont consenties par le gouvernement, puisqu’une partie d’entre-elles résultera en plus  d’impôt et moins de liberté. Nous aurons donc au mieux un statu quo intenable sur le long terme et au pire une avancée supplémentaire de l’État dans la vie des individus.

gilets jaunes

Marre des taxes, qu’ils disaient.

Les propositions libérales

Voyons maintenant les propositions qui vont dans le bon sens, celui de moins de taxes et plus de liberté ; autrement dit, une économie plus performante, moins de chômage, plus de prospérité… et moins de coercition, donc un peu plus d’éthique. Elles doivent donc être défendues.

Il y a d’abord les réductions de taxe en tous genres : réduction de la taxe carburant, carbone, autoriser les agriculteurs à rouler au fioul rouge, la baisse des charges patronales, l’exonération des heures supplémentaires et la refonte de la taxe sur les morts.

Inutile d’épiloguer longuement là dessus. Ces propositions permettront à ceux qui en bénéficient d’augmenter leur pouvoir d’achat, qu’il s’agisse des biens de consommation pour les particuliers ou leur pouvoir d’embaucher pour les entreprises. L’argument n’est pas qu’utilitariste dans la mesure où une taxe disparue est aussi une liberté retrouvée.

Dans ce tiroir, on trouve également des propositions pour supprimer des lois imbéciles comme l’abandon du projet de renouvellement du parc automobile qui prévoit de forcer les Français à jeter à la casse leur vieillotte mais encore vaillante titine. Ou comment le gouvernement réussit à pondre des lois condamnant la prétendue obsolescence programmée des ampoules, des bas nylons ou des lave-linges et pratique simultanément l’obsolescence programmée par la loi de milliers de véhicules encore tout à fait utilisables.

Une mesure pareille, qui consiste à détruire les voitures des autres, doit être correctement qualifiée par le terme qui convient ; il s’agit là ni plus ni moins que de vandalisme, peu importe le prétexte utilisé pour le perpétuer.

Cela dit, le prétexte en question vaut tout de même le détour. En effet, il se trouve que le gouvernement prétend agir de la sorte pour plaire, bien sûr, à son alibi habituel ces temps-ci, qui n’est autre que la Divine Gaïa ! Ne doutons pas que la Déesse Mère sera sûrement ravie de l’initiative de ses dévots lorsqu’elle verra ses pauvres petits continents verdoyants souillés de milliers de montagnes de carcasses d’automobiles, empilées un peu partout en guise d’offrande, mais passons à la suite.

Il était également question de réaliser des réformes institutionnelles comme supprimer le Sénat et réduire les salaires du gouvernement.

Sur le Sénat, je n’étais pas très certain qu’il s’agisse d’une bonne proposition. D’un côté, le Sénat ralentit la progression de l’État et nous a effectivement protégé de quelques lois stupides votées par l’Assemblée dans le passé. D’un autre, il nous coûte une fortune et peut être que la solution intermédiaire avant l’abolition de l’État serait de faire en sorte que l’Assemblée ne puisse plus voter n’importe quoi, si tant est que cela soit possible. Bon an, mal an, je place tout de même cette proposition dans celles qui vont dans le bon sens, puisqu’elle entend alléger le poids de l’État.

Concernant le salaire des membres du gouvernement, tout le monde sera d’accord là dessus : ils nous coûtent trop cher et s’il est possible de les mettre au régime, il faut le faire. Une telle mesure aurait le double avantage de nous rendre une partie de notre argent ET de rendre la fonction d’homme de l’État pénible. Je pense en effet que dans le chemin vers la liberté, il faudra bien à un moment que ces vilains métiers cessent d’être vécus comme des honneurs ; autant par ceux qui les occupent que ceux qui les regardent d’en bas, de sorte que les ministres, députés et compagnie ne soient plus animés que par l’envie d’un retour rapide à la vie civile après en avoir fait le moins possible.

J’ai conservé une des meilleures propositions pour la fin : la diminution de l’assistanat. Celle-là a fait hurler dans les chaumières un peu partout sur Facebook et c’est encore une preuve que la voix de la majorité n’est pas nécessairement la voix de la raison.

Oui, l’État-providence est une mauvaise chose en soi et pour tout le monde. Pour ceux qui le financent et pour ceux qui en profitent.

L’État Providence n’est pas la solidarité, mais bien autre chose. Celui qui fait les poches d’une catégorie d’individus pour aller remplir les poches d’une autre catégorie d’individus n’est pas un bon Samaritain solidaire mais un voleur, tout simplement. Une entreprise aussi vicieuse que celle-ci ne peut pas déboucher sur quelque chose de vertueux et on va constater empiriquement que c’est vrai.

Pour commencer, il faut bien financer cet État-providence avec des taxes, or, l’État-providence est horriblement cher et requiert de prélever des sommes hallucinantes sur les Français et ce n’est pas sans effet ! En taxant de la sorte, le pouvoir d’achat des individus baisse et le pouvoir d’embaucher des entreprises plonge ! Ainsi, le simple fait de financer ce truc-là par les impôts crée du chômage et donc des pauvres éligibles aux aides sociales !

De plus, on constate que tous les services d’aide fonctionnent de moins en moins bien avec le temps (la Sécu rembourse de moins en moins bien, les logements sociaux vont chez les potes des élus locaux et pas aux vrais pauvres, etc.). De fait, ils demandent en permanence à être renfloués avec plus de taxes. C’est donc un cercle vicieux qui crée toujours plus de pauvres et qui, s’il n’est pas stoppé, finira fatalement par s’effondrer lorsqu’il n’y aura plus personne pour le financer. Lorsqu’on en sera là, ce sera le chaos et peut être même la guerre civile.

Comme l’État-providence n’est pas une entreprise de solidarité, il produit donc l’exact inverse de ses objectifs claironnés sur tous les media du monde et répétés par des masses d’individus désinformés.

« Mais si l’État-providence est aboli, alors les pauvres seront condamné à mourir dans la rue et ce serait affreux ! », me répond-on lorsque j’aborde ces questions.

Eh bien non! Ce qui est affreux, c’est de voler les gens pour créer des pauvres et d’appeler ça « solidarité ». Sans État-providence, c’est le marché libre qui opère et qui permettra à des tas de compagnies d’assurance ou de mutuelles de voir le jour. Comme elles seront en concurrence entre elles, elles seront naturellement incitées à fournir le meilleur service au meilleur prix, conformément à ce qu’on observe chaque fois qu’un marché est libéré.

« Mais les vrais pauvres, ceux qui ne pourront pas se les payer et …. » me dit-on encore ! Eh bien ces vrais pauvres, puisqu’ils vous tiennent tant à cœur, c’est vous qui allez vous en occuper, en pratiquant vous même la solidarité que vous revendiquez ! Rassurez vous, vous ne serez pas tout seul, car tout le monde vient avec cette objection. Et c’est une bonne chose : la grande masse des gens est en général pleine d’empathie et n’aime pas voir les autres souffrir. Les individus donneront, donc. Directement de la main à la main ou en versant à un organisme de charité, en étant actif dans leur communauté, dans leur ville, etc.

En d’autres mots, l’abolition de l’État-providence ne nous rendra pas seulement plus riches et mieux soignés, elle nous rendra aussi meilleurs.

Et c’en est terminé des bonnes propositions. Restent les autres, qui sont terribles.

état-providence

Ahhh, l’horreur économique libérale…

Les propositions socialistes

L’autre moitié des propositions vont dans le mauvais sens, celui de plus de taxes, de moins de liberté (et donc moins de prospérité).

Le sondage contient donc quelques mesures d’aides sociales comme des aides au retour à l’emploi ou plus d’aide au logement. Inutile de réécrire la partie sur l’État-providence qui permet d’avance de répondre de manière complète à ce type de revendication.

Il était question également de l’interdiction du glyphosate, qui est parfaitement inutile. « Comment ? La liberté des empoisonneurs ? Bravo, les libéraux! » , entends-je à travers l’écran. Ce à quoi je réponds qu’il est inutile de faire une nouvelle loi sur cette question. Si le glyphosate est bien un poison, alors, c’est la responsabilité des empoisonneurs qui doit entrer en jeu.

Cette question ne pose pourtant aucun problème au grand public lorsqu’il s’agit de condamner celui qui déverse du poison dans les rayonnages d’un supermarché. Dans ce cas, il est clair que nous sommes face à une négligence dans le meilleur des cas et face à du terrorisme dans le pire et que dans les deux cas, l’empoisonneur devra finir devant un tribunal pour répondre de ses actes. Il en est évidemment de même pour le glyphosate : la  question relève du droit commun. Inutile d’ajouter une couche de législation supplémentaire.

glyphosate

En quoi le glyphosate pose-t-il un problème ?

Nous avons également eu droit à la sempiternelle augmentation du SMIC. Idée idiote par excellence qui pose comme prémisse qu’il suffit de décréter un minimum des prix pour que tous les produits se vendent plus cher. Mais c’est faux. Le minimum des prix crée le gaspillage des produits naturellement moins chers que le minimum légal : personne n’en veut, ou personne ne peut les acheter, car trop cher, et ils finissent donc à la poubelle dans un premier temps et cessent d’être fabriqués dans un second.

Le salaire minimum est un minimum des prix. De fait, il exclut du marché du travail tous ceux qui n’ont pas les qualifications pour justifier le coût d’un SMIC à l’employeur. Cette mesure est une usine à pauvres supplémentaire qui laisse les gens les moins qualifiés sur le carreau.

Le SMIC devrait donc être aboli. Et pour répondre de suite à l’objection qui arrive : Non, personne ne proposera de poste à 48h par semaine payé 10 euros et personne n’accepterait un aussi mauvais marché. Contrairement à ce qui est largement cru, il y a une négociation qui s’opère entre le futur salarié et le futur employeur : un informaticien chevronné n’acceptera pas de poste à 1000€ net par mois car il sait pertinemment qu’il trouvera mieux ailleurs. Une personne sans la moindre qualification n’acceptera pas un boulot à plein temps pour une somme qu’elle pourrait récupérer en pointant à l’organisme de charité de son quartier. Si les patrons veulent des travailleurs, ils doivent les payer au moins plus que ce qu’ils peuvent récupérer sans rien faire.

Évidemment, il ne sera pas agréable de travailler pour des petites sommes, mais cela vaudra toujours mieux pour ces travailleurs de s’assumer, même difficilement que de l’alternative qui est de vivre de la charité ou pire encore, de la dépendance à l’État-providence.

Vient ensuite le respect de la parité homme-femme et la visibilité des handicapés dans toute la société qui sont, elles aussi tout à fait néfastes. S’il faut la parité homme-femme et des quotas de handicapés, alors, il en faut partout. Chez les grutiers, chez les égoutiers, dans les professions dangereuses et soyons fous, au Crazy Horse et dans les formations de Chippendales.

Je pourrais m’arrêter là mais je rajouterai une toute petite chose : ce n’est pas un cadeau qu’on fait aux femmes ou aux handicapés que d’obliger les autres à leur réserver des places. D’abord parce que c’est un rien condescendant vis-à-vis des membres de cette catégorie, puisqu’ils se retrouvent jugés sur leurs caractéristiques héritées plutôt que méritées. Ensuite parce que ces mêmes personnes, une fois embauchées, ne sauront jamais si elles ont été choisies pour leurs capacités ou pour éviter de payer une amende en respectant un quota. Et enfin, parce que ces gens seront en permanence sous la suspicion de leurs collègues qui se poseront continuellement la question suivante : cette personne est-elle là parce qu’elle a de la valeur ? Ou parce que c’est le quota ?

On retrouvait également au chapitre des mauvaises propositions celles d’aider encore plus les étudiants et celle de rendre « la culture accessible à tous ». Elles vont ensemble dans le sens où l’idée de départ est de financer les goûts et choix des uns avec l’argent des autres. Ainsi, Jacques paiera pour les études des enfants des autres et un sourd paiera pour financer un concert de rock. Le tout sans avoir la possibilité de s’en défausser, bien évidemment.

Alors un truc comme ça, c’est d’abord du vol et donc c’est mal, il ne faut pas le faire. Ensuite, c’est idiot : celui qui veut se former peut le faire lui même à l’école de son choix qu’il paiera lui-même ; et s’il est sans le sou, il peut aussi bien se former sur Internet où il trouvera des quantités de cours de très bonne qualité sur tous les sujets imaginables. Pour la culture, c’est le même argument donc inutile de le répéter. Mais je déjoue tout de même l’objection que je vois arriver : non, la culture ne cessera pas d’exister sans subventions. Il y a eu une vie culturelle avant l’établissement des ministères de la culture et nous avons tous un sens du beau quelque part au fond de nous. Nous sommes demandeurs d’art et à ce titre, une offre artistique libérée des subvention émergera naturellement.

Sans subventions, l’art n’aura peut être plus la même forme. Peut être verrons nous moins de prétendu art contemporain et un peu plus d’œuvres figuratives. Le marché de l’art reflétera donc peut être un peu mieux les goûts réels du public, ce qui ne peut pas être une mauvaise chose.

Et pour finir sur les propositions idiotes, on trouvait également dans le formulaire quelques revendications concernant les retraites. Il faut les augmenter ! Il faut le même taux pour tous !

Ici, la question est mal posée. Le débat n’est pas de savoir s’il faut plus ou moins de retraite, mais simplement de prendre acte du fait que la retraite par répartition est une pyramide de Ponzi, autrement dit une vulgaire arnaque qui requiert un nombre toujours croissant de cotisants pour fonctionner. Le seul problème étant que ce nombre finit rapidement par dépasser le nombre d’humains disponibles. Lorsque cela arrive, le système s’écroule, les premiers arrivants auront vécu confortablement sur les paiements des derniers arrivants qui, eux, n’auront plus que leurs yeux pour pleurer.

La seule initiative à prendre concernant les retraites est donc d’abolir ce système, de rendre l’argent aux Français si c’est possible et de les laisser s’occuper eux-mêmes de leurs vieux jours.  Ils auront alors le loisir de se constituer un bas de laine, d’investir en bourse ou de cotiser à une caisse de retraite.

retraite

Caisses des retraites vides, vide des retraites, qu’est-ce que la retraite ?

Qu’en reste-t-il ?

Ouf ! Il y en avait, des conneries, dans ce sondage ! Bon, il y avait aussi des choses excellentes. C’était moitié-moitié. Une chose est certaine, si les représentants des Gilets Jaunes doivent porter des revendications auprès du  gouvernement, ils devront surtout ne pas suivre leur méthodologie originale. Ce serait le meilleur moyen d’arriver avec des demandes contradictoires dont le seul effet serait de tuer le mouvement en débouchant sur un statu quo.

Eric Drouet et Priscillia Ludosky doivent, au contraire, changer de méthode, acquérir deux ou trois notions d’économie et suivre des principes clairs et définis qui leur permettront d’établir une liste de revendications conformes aux origines du mouvement : moins de taxes, plus de liberté. Tout ce qui ira envers ces deux points devant être rejeté. Simple.

Puissent-ils en prendre conscience.

Jean-David Nau