« Les clichés, les phrases toutes faites, l’adhésion à des codes d’expression et de conduite conventionnels et standardisés ont socialement la fonction de nous protéger de la réalité, de cette exigence de pensée que les événements et les faits éveillent en vertu de leur existence. » – Hannah Arendt
Reflet
Tout pouvoir politique sait agiter la baguette du langage, bouillonnante des illusions de la pensée magique : aujourd’hui ce novlangue a nom euphémisme et cliché euphorisant. L’état de notre langage n’est-il pas le reflet de l’état de nos sociétés ? Plus il est loin du réel, plus le réel est désastreux. On remédie au langage, faute de remédier au réel, que ce soit dans le domaine social, de la justice ou civilisationnel, en annonçant un messie sociétal qui ne viendra pas, ange cachant un démon aux dépens de nos libertés…
Euphémismes sociaux
Une grève n’est plus une grève. Même plus un conflit social – ce serait trop brutal – mais un mouvement social. Sans mettre en cause le droit de grève, liberté fondamentale, relevons qu’elle est trop souvent la défense d’un corporatisme professionnel et syndical au détriment de l’activité entrepreneuriale.
La défense des salariés devient une prise d’otages, non seulement du public, des clients, des fournisseurs et des entrepreneurs, mais aussi des non-grévistes. Le mouvement social signifierait-il qu’en travaillant les salariés sont immobiles et que c’est seulement en faisant grève qu’ils bougent dans le sens de leur progrès social ?
C’est alors qu’ils seraient dans l’action, mobilisés, signifiant sûrement qu’hors de ce moment festif du ressentiment, trop souvent antiéconomique, ils sont en permanence démobilisés… L’euphémisme serait loufoque s’il n’était le masque d’une tyrannie.
Modèle social et service public sont des formules sacro-saintes, au point que nos voisins, plus heureux au moyen de réformes libérales (du Chili à la Suisse, en passant par l’Allemagne), les ont abandonnées ou ne les ont jamais empruntées. Qui voudrait de notre protection sociale exsangue, de notre système de retraite à bout de souffle, de notre sécurité sociale déficitaire, de notre coûteux assistanat profitant trop souvent à des immigrants inoccupés, que SMIC, charges et code éléphantesque du travail contribuent à écarter du marché du travail ?
Ce dernier n’ayant d’ailleurs plus guère les caractéristiques du marché, sur-réglementé qu’il est, aimanté par Pôle Emploi, autre réjouissant euphémisme pour agence de congestion du chômage…
Sévices publics
Le dogme du service public paraît inattaquable. Mais pourquoi la SNCF par exemple ? Pourquoi pas la voiture, le pain du boulanger, bien plus nécessaires ? Alors qu’outre-Manche et outre-Rhin on a privatisé le chemin de fer avec succès.
Le service public est alors un abus de langage, une confiscation du public et des deniers publics par une corporation syndiquée arc-boutée sur des privilèges indus, comme les aiguilleurs du ciel qui travaillent trois jours par semaine pour un salaire fort confortable et sont par conséquent deux fois plus nombreux qu’au Royaume-Uni et en Allemagne pour le même service. Quand la pression fiscale qui les surpaie relève du sévice public…
Déni de réalité
Admirons combien, dans le domaine de la délinquance et de la criminalité, le langage paraît avoir désamorcé le danger. Dans les quartiers sensibles, ouverts au multiculturalisme, des personnes connues des services de la police se sont livrées à des incivilités qu’excuse leur exclusion. Admirable novlangue.
Que chaque personne sensée traduira pourtant ainsi, n’en déplaise aux oreilles chastes qui devront fermer les yeux sur les lignes suivantes : dans des poches de charia, des délinquants et criminels récidivistes, pour la plupart immigrés depuis l’aire arabe, ont saccagé, pillé, violé, tué. Alors même que la république a déversé sur leurs quartiers la manne financière de la politique de la ville et les moyens de l’éducation républicaine, en pure perte. Si la précédente phrase semblait excessive, c’est qu’on n’a pas su dire la vérité avec nuance et précision dans la première…
Au détour des enfumages du langage, mieux que la pensée magique du Contrat Emploi Solidarité (lisez : menottes fiscales), le pire est atteint avec l’antiphrase, affirmant sans honte le contraire du réel. Le Ministère du Redressement Productif, ne redresse ni ne produit, mais contribue au savonnage de la mauvaise pente de l’économie.
Trahison intellectuelle
Il faut alors « prendre ses distances avec les épidémies d’opinion », selon Sloterdijk. Déchiffrer « que sur les abstractions mortelles, se dépose un voile de langage coloré qui fait croire à la viabilité et à la lisibilité de ce qui n’est ni viable, ni lisible ». L’État, « ogre philanthropique » socialiste (qu’il soit de droite ou de gauche, depuis trois décennies), ses affidés et clients, ses maîtres chanteurs syndiqués et autres médias, non contents de dévorer le vocabulaire avec des dents de rose, dévorent une prospérité économique en recul ainsi que l’espace de nos libertés.
Ne faut-il pas dire de l’euphémisme, du cliché euphorisant, ces saintes huiles du novlangue contemporain, ce que disait du relativisme Karl Popper : « Le relativisme est un des nombreux crimes perpétrés par les intellectuels. Il est une trahison à l’endroit de la raison et de l’humanité. »
Thierry Guinhut, in Libres !!, 2014